Jour de Peau à Crans Montana

 

Mi-février, grand beau depuis 4 jours, confortable couche de neige, voilà un vendredi qui vous tend les bras, pour vous mettre les skis aux pieds. Non, cette fois, pas du ski de consommation courante fait de remontées monotones et de descentes trop rapides sur tapis de neige de culture ratissée, mais du « vrai » ski où la descente n’est qu’un retour à valoir par l’effort de la montée.

Skis peaussés et bâtons dans la housse, l’expédition commence depuis Lens en petite voiture électrique jusqu’au parking de l’Aminona, encore une fois complet vu sa faible capacité, mais la petite électrique trouve facilement sa demi-place nécessaire. On peut comprendre que passer d’une fréquentation comprise entre 8 000 et 50 000 personnes d’un jour à l’autre peut donner des maux de tête à ceux qui se préoccupent de mobilité, mais quand on ne dispose que de 1 500 places de parking pour un maximum de 5 000 visiteurs magicpassés ou non, on s’interroge sur la pertinence des efforts de promotion de l’attractivité de la destination.

Certes les pics de fréquentation des « samedis » ne représentent qu’une quinzaine de jours par hiver, mais cà fait au moins la moitié soient 2500 x 15 = 37 500 personnes qui vont parler très fort de leur stressante expérience pour parquer leur voiture et accéder au domaine skiable. Ce ne sont jamais que 10% de la population du Valais par hiver… Construit-on des routes urbaines quand les gens sont au bureau ? Ou pour les pendulaires en mobilité ? Messieurs les politiques, (re)sortez les études de vos tiroirs !

La bonne nouvelle est que dans ces conditions, les émissions carbone ne peuvent pas progresser… A quand des parkings de stockage décentrés et un réseau public, électrique, propre  et dense dont la fréquence élimine l’impatience ? Passera-t’on le cap de l’absolutly immobile vers le relativement mobile ?

Quelques pas après, les lattes moquettées attendent vos pieds confortablement installés dans l’espace généreux du réglage de l’ascension. Le sac léger malgré l’indispensable sécurité (DVA, pelle, sonde, barres énergétiques, couteau suisse et téléphone) porte son signe distinctif : le bidon d’eau à la bretelle qui capte l’attention ébahie du moindre piéton croisé qui vous regarde comme un patrouilleur des glaciers. Bidon d’eau et bonnet léger contre pieds lourdement bottés et cerveau casqué, voilà tout le contraste entre le voyageur attentif et le consommateur impulsif.

Les premiers pas se rythment, le temps de chauffe une fois passé. Le contact alterné des peaux sur la neige ne tape plus. Le glissement sifflé du poil incliné devient la mesure du pas qui s’allonge, évoquant le son lancinant des scieurs de long d’antan. Ce jour-là le ciel avait choisi son bleu monochrome et brillant, et la terre sa couverture blanche des plus beaux hivers, blanche comme le parfait assemblage des couleurs de l’arc-en-ciel, parsemée de milliers d’étincelles de glace pétillante des rayons d’un soleil glorieux.

Les sapins en bordure saluent de leurs branches au repos l’arpenteur au pas cadencé,. Chacun se présente en témoin attentif d’un passage où les regards prennent le temps de se croiser. Avez-vous déjà croisé le regard d’un arbre ? Celui qui vous récite toutes ses années de résidence et qui sont la mémoire du site habité ?

La pente glisse sous les pieds. Le chemin large et confortable assure le pas qui s’oublie et stimule l’esprit. Les idées défilent et s’alternent, le souffle se cale, les yeux brillent. Les panneaux jaunes en losange rassurent du chemin suivi. Le pas se raccourcit quand la pente se redresse, le cœur battant sa cage, dont on ne sait si elle contient l’effort ou l’émotion. Bientôt les arbres s’effacent dans la perspective pour ouvrir la majesté des lieux, celle des sommets aux neiges éternelles qui font tourner les têtes et parfois prendre les vies. Les 3 000 rugissants d’un côté, les 4 000 hurlants de l’autre, tels des océans aux humeurs indomptables, présentent leurs aimables salutations à ceux qui respectent distance et reconnaissance. L’heure n’est pourtant pas à l’expédition, mais plutôt à la dégustation, celle de l’air frais qui caresse le visage de l’effort, celle du parfum subtil de la roche humide, celle de la symphonie continue du torrent pressé de rejoindre sa vallée.

 L’eau. L’eau des montagnes est un trésor. Jetée des nuages pour le marin, sa vie d’altitude est bien plus tourmentée. L’eau ici prend toute ses formes. Elle se fait vapeur à l’effet de serre protecteur, liquide de toute vie, manteau de protection ou de jeu, et parfois se réfugie en baignoires ou dans son lit pour couler jusqu’au fleuve ou au robinet, et même turbinée de toute sa puissance pour allumer nos lumières.

L’eau ne disparaît jamais car elle est prisonnière de notre planète. Elle change d’état et se recycle de façon perpétuelle. Elle pose néanmoins trois problèmes indiscutablement anthropiques : son « nettoyage » (dépollution des eaux usées), sa distribution (merci aux anciens qui ont construits les bisses) et son stockage. Dépollution et distribution sont choses connues. Quant au stockage, il sera le défi des prochaines décennies.

Que le changement climatique puisse être anthropique ou non, le fait est que les glaciers alpins ont fondu de 60 % en un siècle, ce qui nous prive d’autant de cette capacité de stockage naturel. Les précipitations elles, sont quasiment constantes, années par années dans la région, depuis l’existence des relevés météos en 1864. Si les capacités naturelles de stockage (glaciers) diminuent, une absence momentanément prolongée de précipitations va épuiser les stockages traditionnels et provoquer des restrictions d’usage. Il va donc falloir se préoccuper d’augmenter les capacités de stockage « construites », barrages, lacs ou retenues aménagées. Les ingénieurs pourront calculer combien et comment en comparant les écarts-types d’usage et de ressources, mais la population devra prendre conscience de la nécessité de ces aménagements pour que les politiques s’en fassent les interprètes. Le sujet est d’autant plus passionnant qu’il peut aussi combiner nos besoins énergétiques en « renouvelable ». Crans Montana et la région alentour possède une opportunité exceptionnelle sur ce type de démarche combinée vu ses reliefs en plateau et son hydrologie. C’est une voie royale vers la sécurité de l’usage de l’eau et l’indépendance énergétique.

Dépeausser, ranger, serrer les chaussures, remettre le coupe-vent, chausser à nouveau, et voilà le laissez-filer de la descente qui s’amorce. Seul signe de trahison : le bidon à la bretelle. Bientôt voilà Colombire et ses mayens blottis non loin de la solide cabane qu’Angela dirige de son sourire et de sa bonne humeur. Colombire, étape incontournable de la ballade. Quand à Zermatt le Cervin s’invite, à Colombire comme dans quelques endroits d’exception de Crans Montana, vous avez tous ces géants à votre table. Colombire c’est toujours la convivialité , la qualité des mets simples et généreux qui vous ramènent à l’authenticité. On y partage que le bonheur d’y échanger quelques pensées simples et profondes, le lieu étant si proche de l’idée qu’on se fait du paradis.

Les dernières nouvelles épuisées dans les conversations et le soleil s’approchant de l’horizon, sonnent le signal du départ pour amorcer le retour final. Les pensées se destinent au feu de cheminée chaleureux auprès des siens, et glissent sur le chemin du retour en saluant plein de gratitude ces paysages arborés blancs de neige. Je reviendrai, c’est sûr, mais vous, serez-vous encore là ?

 

Jean

Pour l’Apach

 

jean.metz@lechamayen.org

 

 

 

 

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